« Tous les frères de cet Ordre des Minimes, imitant la voie, la règle, la vie du salut éternel, et  gardant salutairement les dix commandements de Dieu, avec les préceptes de l’Église, et tachant de parvenir aux sacrés conseils, qu’ils obéissent fidèlement à notre très saint Père le Pape Jules deuxième, et à ses successeurs élus canoniquement, et qu’ils promettent de vivre avec persévérance, sous les sacrés vœux d’obédience, de chasteté, de pauvreté, et de la vie quadragésimale, selon les modifications modifiées ci-après. Qu’ils obéissent encore humblement à Frère François de Paule, et à ses successeurs, correcteurs généraux, et qu’ils ne se départent jamais de cette Règle de vie, se souvenant que c’est en vain de commencer une bonne œuvre, si on la délaisse devant l’issue de la vie, et que la couronne est donnée seulement à ceux qui persévèrent » Règle de 1506

La bure et le manteau sont de couleur noire. Les quatre nœuds du cordon (au lieu de trois pour d’autres Ordres) symbolisent  les quatre vœux de Minimes : pauvreté, obéissance, chasteté et vie de carême

La fondation de cet ordre nouveau ne semble pas résulter d’une volonté prédéterminée de François de Paule, qui remonterait à ses premières expériences érémitiques à Paola. Quand, après avoir renoncé à une courte expérience cénobitique au couvent des Franciscains de San Marco Argentano (1431-1432) dans la province de Cosenza, il s’installe en 1435 dans une grotte sur la terre de ses parents, c’est pour vivre en ermite, dans la solitude, la prière et l’abstinence d’un anachorète. Alors étranger à toute vie conventuelle, attiré par l’austérité, rejoint par quelques disciples, il se contente, hors de toute structure monastique, d’imiter la règle de vie des « Pères du désert » d’Orient. Du reste, ce refus implicite de dépendre d’un ordre religieux suscite d’abord la méfiance, sinon l’hostilité de la papauté. Il faudra une enquête canonique diligentée par l’émissaire du pape et l’archevêque de Cosenza pour faire reconnaître par Rome l’orthodoxie de ses engagements érémitiques.

Par une décision du 30 novembre 1471, l’archevêque, Pirro Caracciolo, reconnaît et approuve l’existence de ce petit groupe d’anachorètes dont il souligne l’état pénitentiel : « des ermites vivant près d’un oratoire d’une façon très austère, vêtus d’une tunique avec un capuce et un cordon, pieds-nus, se privant de viandes, œufs, laitages, observant de nombreux jeûnes, priant beaucoup, vivant sans argent ».

Puis, le 17 mai 1474, la communauté érémitique est reconnue par le pape Sixte IV, par la bulle Sedes Apostolica, sous le nom de « Congrégation des Frères ermites de saint François d’Assise ». Ce faisant, loin de constituer un nouvel ordre indépendant avec une règle propre, elle est rattachée aux frères mendiants de la famille franciscaine. Qui plus est, elle est placée sous la juridiction directe des Franciscains, puisque le concile de Latran de 1215 a interdit la création de nouveaux ordres religieux. L’Ordre des Minimes n’est pas encore né.

La diffusion de la communauté à travers l’Italie avec la fondation de couvents, l’installation de François de Paule en Touraine auprès de la cour royale en 1483, la renommée qui entoure l’ermite calabrais créent des conditions nouvelles, de nature à lever l’interdit de 1215. Il faudra toutefois de très nombreuses démarches auprès de Rome, des interventions auprès de Sixte IV, Innocent VIII et Alexandre VI, des suppliques adressées par Louis XI puis Charles VIII pour qu’enfin s’opère le passage de la vie érémitique à la vie cénobitique. Surtout, il fallut vaincre la ferme opposition des Franciscains à accepter l’émergence d’un ordre nouveau dont ils ne contrôleraient plus les règles de vie, la gouvernance et la spiritualité et dont la concurrence leur porterait préjudice, d’autant plus que la nouvelle communauté était porteuse d’une réforme profonde de l’Ordre franciscain vers plus d’austérité.

Finalement, la première Règle de « l’Ordre des frères minimes pauvres ermites du frère François de Paule » est approuvée le 26 février 1493 par la bulle Meritis religiosae vitae du pape Alexandre VI. C’est la première fois qu’est mentionnée l’appellation de « Minimes », qui marque la fondation officielle de l’Ordre des Minimes et le passage de l’érémitisme au cénobitisme.    

Une deuxième Règle est approuvée par Alexandre VI par sa bulle Ad ea quae circa decorem du 1er mai 1501, le mot « ermite » disparaît. Essentiellement juridique, cette règle expose les exigences de la pauvreté, du silence et de l’oraison ; l’abstinence quadragésimale y est mentionnée comme un simple précepte.

Une troisième Règle est approuvée par la bulle Ad fructus uberes d’Alexandre VI du 19 mai 1502. Le rôle tenu par François de Paule dans la réforme des Ordres religieux y est souligné pour avoir « planté un bon arbre dans le champ de l’Église militante, adapté aux temps modernes » avec « cette vie spirituelle et humble et quadragésimale ». Selon le pape, les religieux sont « une lumière pour éclairer les Gentils, lumen ad revelationem gentium ».

Enfin, le 28 juillet 1506, est approuvée par Jules II la quatrième Règle par la bulle Inter caeteros regularis observantiae professores qui abroge les trois précédentes règles reconnues par Alexandre VI. Jules II y prescrit « que desdites trois Règles, la première soit dite et nommée la Règle des Frères Minimes, ainsi qu’elle se nommait par ci-devant. La seconde, la Règle des Sœurs de l’Ordre des Minimes. Et la troisième, la Règle des fidèles de l’un et de l’autre sexe de l’Ordre des Minimes. Et que ledit Ordre soit irrévocablement à perpétuité appelé et nommé l’Ordre des Minimes. » A côté de la Règle des Frères sont donc édictées la Règle des Sœurs (les Minimesses) et celle du Tiers-Ordre.

L’Ordre se répand en Europe entre les XVIe et XVIIIe siècles. A partir des années 1750, le recrutement se fait de plus en plus difficile. Il disparaît en France en 1791 sous l’effet de la suppression des vœux et des ordres religieux.

Au XIXe siècle, des voix s’élèvent en faveur du retour des Minimes sur le lieu où vécut et mourut leur fondateur. Une tentative, à Fréjus, fut sans lendemain. En participant à la souscription pour la chapelle de l’ancien couvent à La Riche, la comtesse Félicie de la Rochejaquelein, née Duras, pressait l’archevêque de favoriser cette réinstallation. Le prélat, semble-t-il, accueillit l’idée avec réserve : « Cette démarche me paraît très prématurée, lui répond le prélat le 22 avril 1879, en ce que, d’une part, le séminaire a besoin de sa maison de campagne et que je ne me crois pas le droit d’affecter cette maison à un autre service et, d’autre part, parce que les deux religieux prêtres dont le supérieur général des Minimes pourrait disposer dans un an ne me présentent pas assez de garanties pour m’encourager à entreprendre l’œuvre de la construction d’un monastère. Les Minimes ont une maison de leur ordre à Fréjus qui existe depuis longtemps et l’an dernier ils n’avaient aucun novice susceptible d’être élevé au sacerdoce, et lorsque j’ai demandé au Père Colombo comment il entendait fonder une résidence au Plessis-lès-Tours, il m’a parlé d’un religieux de son ordre qui était lors curé dans le diocèse de Grenoble. Or, je ne veux pas pour fonder une œuvre de ce genre d’un religieux ayant pris l’habitude de vivre hors de son couvent ». Dans une nouvelle lettre du 1er juin 1879, la comtesse déclarait voir avec « douleur s’évanouir ses espérances » et ne plus pouvoir s’attacher à une œuvre à laquelle le prélat ne semblait plus croire. De son côté, le supérieur des Minimes de Gênes mettait en garde l’archevêque, dans une lettre du 16 juillet 1879, contre le zèle excessif de certains frères qui, comme Augustin Colombo, avaient déjà organisé des quêtes dans tous les couvents de l’Ordre en prévision du retour en Touraine, ajoutant même que le Père Général, « dans sa simplicité », avait été trompé.

d’après ROBERTI (Giuseppe Maria, O.M.), Disegno storico dell’Ordine dei Minimi, tome 3, (Rome, 1922) et liste générale d’après les papiers de la Commission des Réguliers en 1768 par Léon Lecestre (Paris, Alphonse Picard et fils, 1902)

LA SPIRITUALITÉ DES MINIMES

François n’a jamais songé à élaborer une doctrine spiri­tuelle  propre.  Ni  philosophe,  ni  théologien,  il  ne  se  réfère à aucune école particulière. II aime saint François d’Assise et s’est épris de la pauvreté. Comme il aime plus encore les Pères du désert et leurs pénitences violentes, la joie franciscaine reste, chez lui, dans l’ombre. François de Paule est avant tout un homme de prière et de pénitence. Les dangers extérieurs qui menacent l’Église, mais plus encore les misères morales de l’Église, l’émeuvent profondément. C’est dans une vie intérieure profonde au sein de l’Église, et spécialement des Ordres reli­gieux, qu’il place une authentique réforme.

1°  ESPRIT  ET  VIE  DE   PENITENCE

C’est en France, au temps où il lui faut rédiger des Règles — quatre Règles en treize ans, trois en six ans — qu’il essaie d’approprier à ses cénobites son expérience personnelle. Alors seulement il livre quelques secrets de sa vie intérieure, mais il trouve difficilement les mots pour s’exprimer : il emprunte tantôt à la Règle de saint Benoît, tantôt à celle de saint François d’Assise, tantôt aux textes des Pères qui ont exalté la pénitence. Il est impossible de ne pas évoquer, en le lisant — surtout quand on met sa vie en parallèle, car il faut s’y référer constamment pour comprendre — saint Antoine, saint Athanase, saint Basile, saint Augustin, saint Pierre-Chrysologue, saint Léon, saint Jean Climaque. II n’était pas pour autant éclectique. Sa forte person­nalité déborde les expressions qu’il emprunte.

a)  Suivre l’Évangile à  la  lettre.

« Ut Evangelium Domini nostri Jesu Christi observemas » (1ère Règle, ch. 1).

Il demande l’effort le plus grand en tout. Il aime l’absolu dans les formules. Il aime les phrases tranchantes de l’Écriture. Il modifie un verset de saint Paul pour mieux montrer qu’il s’agit d’être « ennemi ou ami de Dieu » (3ème Règle du tiers ordre, ch. 4).

Son moralisme l’amène à parler fréquemment des comman­dements de Dieu à ses religieux comme à ses auditeurs, à évoquer le jugement qu’il qualifie de « très rigoureux » (1ère Règle. ch. 8), le compte à rendre qui sera « très strict » (2ème Règle, ch. 4), ajoutant ainsi au texte de l’Évangile. Il impose à ses frères, dans les prédications qu’ils feront au peuple, de parler surtout « des vices, des vertus, du châtiment et de la gloire » (1ère Règle, ch. 3). Volontiers, il se complait, comme les Pères de l’Église et les écrivains spirituels du temps, dans  l’analyse des effets de la pauvreté, du jeûne, de la charité fraternelle. II place la charité « ante omnia » (1ère Règle, ch. 1), « super omnia » (3ème Règle du tiers ordre, ch. 1), mais il ne la présente que comme un commandement et l’on peut regretter qu’il n’en ait pas parlé davantage et autrement, quand on sait quel rôle elle joua dans sa vie et la place que lui a donnée la tradition des Minimes.

C’est l’Évangile qu’il veut suivre et faire vivre ; il l’affirme expressément. Et, dans l’Évangile, ce qui le séduit pardessus tout, c’est la Passion. Ce n’est pas seulement dans la quatrième Règle qu’on trouvera la pensée du fondateur : il faut la chercher dans les trois autres aussi.

b)   Solitude et pauvreté.

La bulle « Meritis religiosae vitae », qui approuve la première Règle, en 1493, commence par un éloge de la solitude, de l’orai­son liée à la solitude (contemplatio illam [solitudinem] social et comitatur). Dans la vie cénobitique, cette solitude devient silence. Avec saint Benoît (dont François Binet connaît bien la Règle, ayant été naguère prieur de Marmoutier), François parle beaucoup du silence, et parfois dans les mêmes termes ou à peu près. II en souligne lui aussi « la gravité » (2ème et 3ème Règles, ch. 4). Il renchérit et appelle le grand silence « évangélique » (4ème Règle, ch. 8), pour le rendre plus sacré encore. S’il veut ce silence absolument, c’est qu’il crée l’indispensable climat de la prière, « occasio potior » (ibidem). A cause du silence, il se refuse à voir ses couvents construits en pleine ville. Ce qui ne l’empêche pas de réaliser aussi bien le rôle de la charité fraternelle dans cette vie cénobitique nouvelle et la nécessité du « cor unum » et « anima una »  (1ère Règle, ch. 1).

Comme au désert, le religieux doit être détaché de tout. François exalte la pauvreté volontaire (1ère Règle, ch. 6), celle qui renonce aux biens du monde, celle qui jette avec le psalmiste toute sa confiance en Dieu. Appliquant à la lettre l’évangile de saint Matthieu et l’exemple de François d’Assise, ses « pauvres Minimes » ne toucheront pas à l’argent et n’en porteront jamais sur eux ; ils n’auront qu’une seule bure, avec laquelle ils devront coucher (ch. 4) ;  les couvents seront « pauvres » ; les églises conventuelles « petites et humbles », « pour qu’y resplendisse toujours la sainte pau­vreté » (ch. 6).

Comme le Poverello encore, il eût souhaité ses religieux sans aucun savoir, pauvreté et humilité se rejoignent ; or, il faut prêcher, donc apprendre. Avec des réserves, il transige. Mais il ne faut s’instruire que pour être « utile », et il rappelle à Jean Quentin les dangers de la « spéculation de l’esprit » qui ne s’allie pas à la « ferveur dans le bien » et à la « pratique des bonnes œuvres », car « c’est cela qui plaît à Dieu ». « Pour faire du bien », il faut « étudier premièrement à se rendre parfait par la doctrine et par le bon exemple. »

c)   Combat spirituel et jeûne.

Il recommande plus encore l’austérité, sans s’arrêter aux conseils de prudence de saint Jérôme ni à la discrétion de saint Benoît. C’est une question de « vie » ou de « mort » spirituelle. Il ne s’agit pas d’opposer corps à esprit, ni simple­ment de livrer le nécessaire combat, militare (2ème Règle, ch. 5), contre la chair, ni même d’expier dans cette chair ; par delà l’apathéia, dans les états mystiques les plus élevés, le corps doit rester, par et dans l’immolation, l’inséparable compagnon de l’âme.  « // faut s’étudier à crucifier sa chair » (4ème Règle, ch.  7).

François s’appuie sur l’Écriture pour vanter les heureux effets du jeûne, « quoniam testante Scriptura multa ex jejunio nascuntur bona » (1ère Règle, ch. 7). II les connaissait d’expé­rience. Il les cite (4ème Règle, ch. 7), à la suite de saint Augustin (Sermo 73 de l’Appendix, PL. 39, 1887 : pseudo-Augustin)  : « Le jeûne purifie l’entendement, élève les sens, assujettit la chair à l’esprit, rend le cœur contrit et humilié (n’est-ce pas la pénitence intérieure qui s’impose surtout ?), éloigne ce qui nourrit la concupiscence, éteint les ardeurs de la volupté et allume le flambeau de la chasteté » (certains auteurs ont écrit « de la charité » sans qu’il soit possible de justifier cette substi­tution) ; ou bien, dit-il encore (avec les mots de la préface du Carême), « il comprime les vices, fait acquérir les vertus, chasse les démons » (2ème Règle, ch. 9). François imite et veut que ses religieux imitent Jésus au désert de la quarantaine, comme l’Église y invite en Carême. Ce Carême devra se prolonger : les Minimes jeûneront à peu près la moitié de l’année et respec­teront toujours I’abstinence quadragésimale. Non seulement ils ne mangeront jamais de viande, mais non plus de beurre, de lait, ni d’œufs (4ème Règle, ch. 5 et 7). François réussira à imposer cette abstinence comme un vœu, obligatoire même en dehors des couvents. Les religieux pourront encore aller au delà du jeûne prescrit, s’ils le veulent. Lui-même paraît avoir jeûné à peu près tous les jours et, pour marquer le Carême, il devait se contenter de pain et d’eau. Pour entrer dans l’Ordre, il faudra « y être poussé par le désir de mener la vie de Carême et de faire une plus grande péni­tence » (4ème Règle, ch. 2).

François veut cette pénitence « pour l’amour de Jésus-Christ ». Il donne ce motif à ses correspondants éprouvés, quand il les invite à « toujours faire pénitence avec Jésus-Christ » ou « à souffrir pour l’amour de Celui qui a voulu mourir en croix pour nous ». Pour aimer Jésus, il veut donc l’imiter non seulement au désert, mais sur la croix. Aussi inscrira-t-il en tête de la deuxième et de la troisième Règle : « In nomine Crucifixi ».

François est, à sa manière, un réformateur des Ordres religieux : il institutionnalise cette vie de Carême et réussit à l’emporter sur la Curie Romaine, longtemps réticente, et sur certains Minimes, en un temps où les Papes adoucissent le régime pénitentiel, celui des Carmes et des Cisterciens par exemple, et multiplient les dispenses pour les fidèles. Pour prouver que l’impossible était possible, il avait, un jour, pris et tenu dans ses mains des charbons ardents, devant un émis­saire pontifical venu pour le freiner (le fait, attesté par ailleurs, est consigné dans la bulle de canonisation, n. 16). Saint Robert Bellarmin pourra bientôt citer François en exemple à l’encontre des théories luthériennes et calvinistes sur la mortification.

2° VIE  D’ORAISON

Mais que serait le jeûne sans l’oraison ? Le saint réaffirme l’enseignement des ermites du désert et des Pères en reprenant la parole de Tobie (12, 8) : « Bona est oratio cum jejunio » : ascèse et mystique sont sœurs dans sa vie. La réforme qu’il souhaite est là, dans ce qu’elle a d’essentiel. Il n’a cité les mots bibliques que dans sa première Règle, mais sa pensée y est si bien affirmée qu’il faudra s’y reporter pour comprendre les autres Règles. Il faut tendre à « l’oraison pure et continuelle » dont parle Jean Cassien, et François dit pourquoi (4ème Règle, ch. 8) : « Elle pénètre là où la chair ne peut avoir aucun accès » ; la contemplation en est le but. Il insiste pour que tous ses religieux y soient « instamment » formés.

La « louange divine » sera abordée « cam tremore », mais « alacriter » (3ème Règle, ch. 2). Lui-même assistera toujours à l’office, bien que, frère lai, il n’y soit pas tenu. Cependant, il supprimera bientôt le chant et le Correctoire infligera même de dures sanctions aux délinquants : on ne peut deviner pourquoi avec certitude. La « louange divine » devra être prolongée. Il demande à ses frères d’alimenter leur piété aux psaumes et aux hymnes d’abord. On deviendra « d’autant plus saint que l’on s’adonnera davantage » (1ère Règle, ch. 7) à cet office prolongé qui n’exclut pas d’autres prières. François n’a pas donné une méthode d’oraison à proprement parler ; il a seulement ébauché une scala, à travers laquelle on croit découvrir quelque chose de son expérience personnelle.

La contemplation, pour François de Paule, est plus affective que spéculative. Mais l’affectus qu’il recommande doit toujours être fondé sur une vie liée à la plus rigoureuse des ascèses et sur une charité fraternelle sans ombre. Le manque de charité fraternelle, la rancœur en particulier, ont été rudement stigma­tisés par lui.

En inscrivant l’exultatio dans sa Règle, il affirme donc accessibles à ses religieux les sommets de l’oraison. Il n’a malheureusement pas laissé de commentaire sur ce mot. Il est permis d’y voir une joie au-dessus des sens, un épanouissement de la charité, un effet du don de sagesse, une « fruitio Dei ». La joie a donc une place de choix dans cette spiritualité appa­remment austère. Nul doute, elle accompagne la pénitence. Le jeûne lui-même doit devenir ce jeûne d’exultation dont a parlé, après saint Augustin et maints Pères, saint Thomas (Somme théologique). Sur ce sommet de joie, la contemplation s’approfondit encore et la vie théologale s’épanouit ; l’âme, saisissant mieux l’action de Dieu en elle, saisit mieux du même coup son propre néant, son incapacité foncière. L’humilité apparaît ici comme un don de Dieu qui rend libre.

Cette contemplation devrait donc être le propre des minimes qui doivent toujours chercher à devenir les plus petits ; c’est la « sainte oraison », c’est « une grande vertu, une grande force des justes » et « il faut y former le mieux possible chaque religieux » (1ère Règle, ch. 7). Alors commence une vie toujours nouvelle et François peut reprendre le mot de « liberté » cher aux contemplatifs. C’est comme un écho de Jean Ruysbroeck qui, après avoir parlé de la  joie, écrivait : « Ô liberté si longtemps attendue et cherchée, la voici, je la tiens, je la sens ! » « Le stemma Charitas avait été apporté du ciel » à François, écrit l’anonyme contemporain ; on saisit mieux maintenant la pensée qu’il exprime. L’oraison est le sommet de la vie reli­gieuse : « L’oraison et la contemplation des choses célestes, aurait-il dit, sont la vraie et la plus naturelle réfection de nos âmes, ses seules délices et sa souveraine félicité. Cette spiritualité intensément vécue a, chez lui, les teintes de la piété populaire du temps. François est un dévot des noms de Jésus et de Marie ; la plupart de ses couvents sont des couvents de Jésus-Maria. Dans son culte de la Passion, il adopte le chemin de croix tel qu’il existait alors, et recommande la dévotion aux cinq plaies. Marial, il est l’apôtre du Rosaire et distribue en quantité les « couronnes » à soixante-trois Ave que le Pape lui a donné la permission de bénir.

François a laissé mieux qu’une thèse doctorale pour justifier sa spiritualité ; il a laissé sa vie et son œuvre. Ses extases prouvent son union à Dieu. Il a montré que la vie érémitique s’ouvrait sur les préoccupations apostoliques de l’Église et il eut un immense rayonnement. Il a démontré par sa santé phy­sique et psychique qu’un équilibre humain était possible au milieu de ce qu’on aurait pu croire des outrances de sa péni­tence : il voit à distance, donne avec sûreté l’herbe qui guérit, lit dans les visages, manie les serpents et les charbons ardents, sans parler de nombreux miracles plus caractérisés. François de Paule a laissé le meilleur de lui-même dans sa fondation, essayant, à travers les évolutions de son ordre naissant, de l’imprégner de l’esprit de la trilogie érémitique : solitude -pénitence – oraison, articulant les unes aux autres ces trois valeurs. Mgr Robert FIOT (La Semaine Religieuse de Tours, 6 et 20 décembre 1963)

François de Paule prédit sa mort à ses Frères et les exhorte à la charité (NARDINO O., Vita e miracoli di San Francesco di Paola, Naples, 1622, gravure d’Alessandro Baratta)