SAINT FRANÇOIS DE PAULE (1416-1507).

C’est dans une petite ville de Calabre, à Paola, située face à la mer Tyrrhénienne, au pied des Apennins que naît François Martolilla le vendredi 27 mars 1416. Cette date est plus généralement admise que celle avancée par les Bollandistes (1436 ou 1437). Son père Jacques est originaire de Paola et sa mère d’une loca lité voisine, celle de Fuscaldo. L’enfant vient au monde au bout de quinze années de mariage et selon le vœu adressé par ses parents à François d’Assise, le prénom de Fran çois lui est donné lors de son baptême. Guéri très jeune d’une tumeur à l’œil gauche, il est promis par ses parents pour prendre l’habit des Franciscains. Vers l’âge de quinze ans, il entre donc au couvent Saint-Marc des Franciscains à Argentino près de Cosenza. Il n’y demeure que durant une année en 1431-1432. A Assise et à Rome, au cours de pèlerinages avec ses parents, il découvre avec peine le faste des princes de l’Eglise ; déçu, il décide de se consacrer à l’austérité et à la pauvreté évangéliques pour vivre l’idéal érémitique. De retour à Paola, il se retire sur les terres de ses parents à partir de 1435 pour y mener la vie du désert, habitant dans une cabane puis dans une grotte, dormant sur la terre nue, pratiquant de longues oraisons, consommant racines, herbes, légumes et fruits. On vient le consulter, obtenir de lui des guérisons (il passe déjà pour accomplir des mira cles). A dix- neuf ans, François de Paule est à la tête d’une petite communauté de disciples et de compa gnons appelés les ermites de saint François d’Assise. Pirro Caracciolo, archevêque de Cosenza informe le pape Paul II de l’existence de cette communauté ; il décrit ses membres comme « vivant saintement en religieux et en ermites, ne prenant jamais de viande, d’oeufs, ni d’aliments lactés, mais observant continuel lement un régime de carême ; déchaussés, ils utilisent en cas de nécessité des chaussures, avec une seule tunique et une tunicelle : ainsi vêtus, ils dorment sur la paille avec un tapis». Le 30 novembre 1471, Pirro Caracciolo accorde l’exemption à cette communauté. Par le décret Sedes apostolica du 14 mai 1474, le pape Sixte IV place les ermites sous sa juridiction de Pise avec vie et règles propres. François était nommé supé rieur général à vie. Pour autant, il ne s’agit pas encore à cette date d’un ordre nouveau et indépendant, disposant d’une Règle propre, puisque cette communauté d’ermites n’est reconnue que sous l’appellation de la « Congrégation des Frères ermites de saint François d’Assise » comme frères mendiants de la famille franciscaine. Cette reconnaissance de la congrégation n’emporte pas encore celle, au processus plus long, d’un nouvel Ordre religieux, celui des Minimes dont la fondation officielle devra attendre l’année 1493. Ce n’est qu’à cette date qu’est donnée l’appellation canonique officielle d’ Ordre des Minimes , par le pape Alexandre VI. Avec l’aide d’experts comme le Père Baldassare de Spigno et le Père Bernardino de Cropulatu, il rédige la première règle, celle de 1493 qui porte reconnaissance officielle de l’Ordre des Frères Ermites du frère François de Paule. En 1493, par sa bulle Meritis religiosae vitae , le pape Alexan dre VI approuve officiellement la règle du nouvel ordre religieux sous le nom des Frères Minimes. La bulle marque ainsi le passage de la vie érémitique à la vie cénobitique. La seconde règle, celle de 1501, approuvée par la bulle d’Alexandre VI Ad ea quae circa decorem , beaucoup plus précise que la précé dente, définit avec concision les préceptes du silence, de la pauvreté et du jeûne. Elle s’accompagne en 1501 de la première règle du Tiers-Ordre fondé sur les prin cipes de la charité, de la passion, du détachement, de la pauvreté et de la mortification. En 1502 est rédigée la troisième règle qu’Alexandre VI approuve par la bulle Ad fructus uberes et la seconde règle du Tiers-Ordre précise et renforce les lignes générales de celle de 1501. Enfin, en 1506, une quatrième règle de l’Ordre est acceptée après la mort de l’ermite. La bulle de Jules II Inter caeteros regularis observantiae du 28 juillet 1506 en proclame l’approbation. Elle définit l’abstinence quadragésimale comme quatrième vœu. Suivent en 1506 une première règle des religieuses puis une troisième règle du Tiers-Ordre. C’est donc en 1452 que François se décide à édifier un monastère avec l’accord de l’archevêque de Cosenza. Selon la tradition, saint François d’Assise apparaît à l’ermite sous les traits d’un moine revêtu de l’habit des frères mineurs pour lui demander d’édifier une vaste église et le lendemain, un gentilhomme de Cosenza lui remet un sac d’or pour couvrir les frais de la construction. François de Paule aurait transporté au sommet du clocher une pierre de taille que les maçons ne pouvaient déplacer ; une corbeille de figues et deux petits gâteaux bénis par l’ermite auraient suffi à nourrir les trois cents ouvriers appelés à construire un aqueduc pour le couvent. D’autres miracles sont rapportés par les témoins aux procès de béatification en 1513 puis de canonisation en 1519 qui se tiennent à Tours, Amiens et en Calabre; il s’agit le plus souvent de guérisons obtenues par le thaumaturge. Il rend la vue, l’ouïe, l’usage des membres ; il guérit des lépreux, des paralytiques, des hydropiques, les écrouelles, la maladie de la pierre et la lèpre. Nicolas d’Alessio, un des jeunes neveux de l’ermite, qui avait manifesté l’in tention de partager la vie érémitique est rendu à la vie au moment où sa famille le porte en terre. Après celui de Paola, d’autres monastères sont fondés comme celui de Paterne ou encore ceux de Spezanne et de Corigliano. En 1464 il est appelé en Sicile pour ouvrir celui de Milazzo. C’est sur son manteau étendu sur les flots qu’il traverse le détroit en compagnie de Paul de Paterne et de Jean de Saint- Lucide. La renommée de l’ermite est telle qu’après avoir dépêché un envoyé auprès de François de Paule, le pape Sixte IV place les ermites sous sa juridiction par le décret du 14 mai 1474. Il est, bien malgré lui, placé au centre des luttes que se livrent les Maisons d’Anjou et d’Aragon pour la possession du royaume de Naples, un des points d’appui de la chrétienté face aux Etats barbaresques et un des centres des circuits commerciaux et culturels en Méditerranée. En 1442, Alphonse V d’Aragon, maître de la Sicile, triomphe de René d’Aragon à Naples. A sa mort, le royaume échoit à l’un de ses bâtards. Ferdinand I er d’Aragon (1458-1494). Surnommé le Cruel, il impose son autorité par la violence ; tyrannique, il écrase ses peuples d’impôts ; débauché et avare, le roi de Naples ne pouvait consi dérer qu’avec gêne la renommée du Calabrais. A Ferdinand, l’ermite fit reproche de sa conduite et menaça son royaume de ruine. A deux reprises, Ferdi nand le Cruel tenta de s’emparer de sa personne. A Paterne, au pied de l’autel de l’église du monastère, il est rendu invisible aux cinquante hommes d’armes venus l’arrêter. En 1480, les Etats de Naples-Sicile sont envahis par les mercenaires de Mehmet II ; Otrante n’est reprise aux Turcs que par une armée munie de cierges bénis par l’ermite. En 1483, l’ermite calabrais, dans sa soixante-septième année quitte sa terre natale pour le royaume de France. Louis XI, sacré roi le 15 août 1461 a choisi la Touraine et le château des Montils-lès-Tours (Le Plessis) acheté en 1463 à son chambellan Hardouin de Maillé pour résidence. Atteint d’artériosclérose, il avait connu en 1479 et en 1481 deux hémorragies cérébrales le privant temporairement de la parole et du mouvement. Soucieux de prolonger sa vie, attaché à l’existence, désireux de bien préparer le jeune dauphin (il n’a que douze ans) à son métier de roi, il se tourne vers la médecine et les remèdes surnaturels. Cherchant un médiateur entre le ciel et lui, conscient, selon Philippe de Commynes, de «ne pouvoir guère durer sans miracle», Louis XI a entendu parler de l’ermite calabrais dont la renommée est parvenue jusqu’à lui par Jean Bourdichon, peintre royal et par un bourgeois napolitain Matteo Coppola dont l’épouse a été guérie de stérilité grâce à l’interces sion du « Bonhomme François ». Aussi le roi se décida-t-il à envoyer une ambassade en Calabre conduite par Guynot de Boussière membre de la garde royale, composée de Jean Jolys, de Guillaume de Chassy, soit en tout une dizaine de membres. A Rome, la démarche de Louis XI est confiée à Jean de Baudricourt, ambassadeur auprès du pape. La résistance de l’ermite fut longue et difficile à vaincre. Il ne fallut pas moins de six à sept mois de démarches, tant auprès du pape Sixte IV que du roi Ferdinand de Naples pour parvenir aux résultats recherchés. Alors François de Paule, « vaincu par les prières et les suppliques d’hommes de si haut rang », comme le déclare un témoin au procès de canonisation, donne enfin son accord. Au début de 1483 il quitte sa Calabre natale avec une escorte​ comprenant cinq cavaliers italiens dont le prince de Tarente, un poète napolitain Francesco Galeotta et deux frères de la communauté de Paterne, Bernardino de Cropulatu et Jean Tedurio della Rocca. A Rome, l’ermite est reçu à plusieurs reprises par Sixte IV et le collège des cardinaux. L’escorte, renforcée par la délégation française, s’em barque à Civitavecchia, selon Jean Jolys ou à Ostie selon d’autres sources. La traversée fut périlleuse, une forte tempête se déchaînant dans le golfe du Lion. On rapporte aussi que le groupe échappa par miracles aux corsaires grâce aux prières de l’ermite. En vue des côtes de Provence, il fallut choisir un autre lieu de débarquement que Marseille ou Toulon où sévissait la peste. On se dirigea alors vers les îles d’Hyères pour aborder près du village de Bormes, à Bréganson. Selon une tradition orale reproduite par le Père Claude du Vivier dans Vie et miracles de saint François de Paule instituteur de l’Ordre des Minimes (1609), l’ermite aurait séjourné à Fréjus où plus tard un couvent est édifié vers 1490. Il y aurait accompli plusieurs mira cles et guérisons. Puis la troupe, empruntant la route des Alpes par Sisteron et Grenoble, se dirige vers Lyon et y arrive le 24 avril 1483 comme l’attestent les comptes de la ville. Par lettre du 24 février, Louis XI a ordonné au corps de ville de faire bon accueil à l’er mite : « Nous vous prions, sur tout le service que vous désirez faire, que vous receviez et festoiez icellui saint homme le mieulx que vous pourrez ». Il renouvelle ses ordres le 27 mars : « Quant le dit saint homme sera arrivé par-delà, recevez-le et le festiez comme si c’était notre Saint-Père… nous le voulons ainsi pour l’onneur de sa personne et de la sainte vie qu’il mène ». De Lyon, un messager est dépêche au Plessis pour tenir le roi informé du déroulement du voyage, à pied et sur eau, probablement selon l’itiné raire suivant : Lyon, Nevers, Auxerre, Orléans, Blois, Amboise et Tours, à moins qu’il ne s’agisse de la voie d’eau à partir de Roanne. Le 30 avril 1483, François et sa troupe quittent Orléans pour descendre la Loire vers la Touraine. La halte d’Amboise n’est fondée que sur une tradition rapportée par l’Espagnol Lucas de Montoya dans Cronica general de la Orden de los minimes de S. Francisco de Paula (Madrid, 1619), puis par Fran – çois Victon en 1623 et le minime Jacques Rosier dans son Minimologium Turonense de 1653. Louis XI a donné ordre au dauphin Charles, âgé de treize ans, de se rendre à la rencontre du Bonhomme. Il semble que cette rencontre ait eu lieu au pied du château d’Amboise, à l’em placement de l’actuelle rue des Minimes où plus tard est édifié un couvent de Minimes. Un cortège fut formé, comprenant outre le dauphin, les princes et seigneurs de son entourage, le clergé de la ville et des habitants. Un tableau de l’église Saint- Denis d’Am boise commémore l’événement : le dauphin relève l’ermite agenouillé à ses pieds. Selon toute probabilité, c’est le lendemain de ce premier contact avec la Touraine à Amboise (le 30 avril 1483) que François, accompagné d’une nouvelle escorte, part pour le Plessis en empruntant le fleuve, les hommes de la suite suivant sur les rives. Il aurait débarqué à Tours dans un des ports de la ville pour rejoindre à pied la résidence royale des Montils. L’arrivée fut longtemps fixée au 24 avril 1483 ; Mgr Fiot a démontré qu’à cette date, François est encore à Lyon et le roi à Saint-Claude. C’est plutôt le 1 er ou le 2 mai 1483 qu’il faut retenir pour date de l’arrivée aux Montils. Selon la tradition, Louis XI se porta au-devant du vieil ermite ; d’autres textes, issus du procès de canonisation, mentionnent que François « pénétra dans la chambre, le roi lui-même, devant tous, fléchit les genoux en lui demandant sa bénédiction ». Aux Montils (le Plessis-lès-Tours), le roi Louis XI confie à son receveur général des Finances, Pierre Briçonnet, le soin de pourvoir aux besoins de l’ermite. Ambroise Rambault est chargé des fonctions d’interprète car François ne parle pas français. Il est installé au fond de la basse-cour, dans une maison rustique du pont-levis, à l’entrée du château royal et à proximité de l’église Saint-Mathias en compagnie de Bernardino de Cropulatu et de Jean della Rocca. Mais François y refuse les riches plats qu’on lui présente, se contentant pour nourriture d’herbes, de racines et de lits. On le sait attiré par les travaux de jardinage ; pour fuir les allées et venues des hommes d’armes et membres de la suite royale, pour vivre son idéal religieux, le Bonhomme se retire fréquemment dans sa petite cabane ou dans les épais buissons du parc du Plessis. Il y est épié et observé par les hommes de Briçonnet. Selon un témoin du procès de canonisation, il couche sur une simple paillasse bourrée de sarments de vigne et couverte d’une toile grossière. Au milieu de ses extases, il demeure souvent trois jours consécutifs sans boire ni manger. Ou bien il se contente d’eau recueillie dans les gouttières et vers la fin de sa vie condescend à user d’un peu de vin. Plusieurs témoins attestent que le vieux roi le visite quotidiennement. Selon Philippe de Commynes, en effet, Louis XI a pour l’ermite « la plus grande considération ». Le monarque, sentant ses forces décliner, règle le mariage du dauphin Charles avec la fille de l’archiduc d’Autriche, Marguerite. Le 25 août 1483, le roi est frappé par une nouvelle hémorragie cérébrale. Commynes rapporte qu’il « perdit la parolle comme autre fois avait faict… A grand peine povait-il mectre la main jusques à sa bouche… Et estoit tant des faict qu’il en faisait pitié à tous ceulx qui le voyaient ». A ses côtés se tient l’ermite pour l’assister dans ses derniers moments. Comme l’ermite l’avait prédit, le roi quitte ce monde le samedi 30 août 1483 en confiant ses enfants au Calabrais. Durant la minorité de Charles VIII et la régence d’Anne de Beaujeu, François de Paule se tient à l’écart des luttes entre factions. Par lettres patentes du 24 avril 1489, le nouveau roi lui donne les terres royales de la bergerie, en bordure du Cher et près du manoir du Plessis pour y édifier un nouveau couvent. François Binet, fils du seigneur de Valmer, grand prieur de Marmoutier troque l’habit de bénédictin pour celui des minimes et succèdera à la tête de l’Ordre après la mort de son fondateur; d’autres, comme Georges Lecomte et Germain Rosé rejoignent l’ermite. Les lettres patentes du roi Charles VIII accordent aussi quelques arpents pour édifier ce couvent placé sous le vocable de Jésus-Maria ; le roi règle la dépense qui se monte alors à 7 419 livres, 6 sols et 3 deniers. Sous Charles VIII, (roi de 1483 à 1498), le Bonhomme, fidèle au vœu de Louis XI, travaille aux intérêts du royaume ; il envoie deux religieux minimes auprès de la Cour de Bretagne pour préparer l’union du roi et de la duchesse Anne. Et en signe de reconnaissance, les jeunes époux royaux, après leur mariage à Langeais le 6 décembre 1491, se rendent au Plessis pour remercier l’ermite. Vers 1490-1491, Charles VIII contribue à la fondation du couvent d’Amboise sur un terrain concédé. L’ermite séjourne parfois parmi les religieux du couvent des Toussaints ; il y rencontre l’un des fils du roi, le jeune Charles-Orland, dauphin de Viennois qui meurt à Amboise le 16 décembre 1495. D’autres couvents de l’Ordre sont ouverts, comme ceux du Mans, de Nigeon et d’Andujar en Espagne. Durant la bataille de Fornoue du 6 juillet 1495 où en Italie les Français, au nombre de 400, luttent contre 7 000 ennemis, François et sa communauté de Jésus-Maria au Plessis-lès-Tours se mettent en prière. C’est en récompense de cette solli citude que Charles VIII fonde à Rome le couvent de la Trinité-des-Monts. C’est encore l’ermite qui porte le jeune Charles-Orland sur les fonts baptismaux le 13 octobre 1492. La mort accidentelle de Charles VIII, le 7 avril 1498 au château d’Amboise pouvait faire penser que la mission de François de Paule était achevée. Lui-même sollicite le droit de retourner en Calabre. Mais il doit renoncer à son projet, sous la pression des grands du royaume et l’intervention du cardinal Georges d’Amboise. Le nouveau roi Louis XII estimait l’ermite, bien que leurs relations fussent moins intimes que sous les règnes précédents. La reine Louise de Savoie portait en outre une véritable admiration envers le Calabrais qui lui avait annoncé que son fils François deviendrait roi. L’un des premiers actes de Louis XII fut de se rendre au couvent du Plessis ; il déclara après sa visite: « Je n’eusse jamais cru que la terre eût possédé un homme aussi saint. Je vous jure qu’il m’a découvert des secrets de ma conscience qui n’étaient connus que de Dieu seul ». Avec l’ermite, le souverain traita la question de l’annulation de son mariage avec Jeanne de France, sœur Charles VIII, redevenue duchesse de Berry après. Le Minime devait jouer auprès d’elle le rôle de directeur de conscience et de conseiller spirituel. Retirée à Bourges au milieu des pauvres et des orphelins, elle fonde en 1501 l’Ordre de l’Annonciade ; en 1950, le pape Pie XII la porte au nombre des saintes. C’est sous le règne de Louis XII (roi de 1498 à 1515) et bien que les visites royales viennent à se faire plus rares au Plessis, que sont fondés de nouveaux monastères de minimes en Italie, en Sicile, en Espagne, en Allemagne et en France. En tout, entre Paola en 1435 et Amboise en 1491, trente-deux couvents sont érigés. Après une courte maladie, François de Paule s’éteint au couvent de Jésus-Maria, au Plessis-lès- Tours, le Vendredi Saint 2 avril 1507 vers 10 heures du matin, allongé sur une planche au milieu de ses frères, désignant Mathieu Michel comme adjoint au futur correc teur de l’Ordre, François Binet. Répandue à Tours, la nouvelle provoque la venue de foules considérables vers le corps de l’ermite exposé dans sa cellule. Le soir, la dépouille est transférée dans l’église du couvent. Martin Moreau, marchand de Tours, dépose et note qu’on dirait que le mort est vivant. Selon toute vraisemblance, c’est ce 2 avril 1507 que le peintre Jean Bourdichon relève le masque mortuaire de son ami. La sépulture se déroule le lundi de Pâques, 5 avril 1507 ; Martin Moreau évalue la foule à 6 000 personnes, soit environ la moitié de la popula – tion de Tours. Le saint est inhumé dans la tombe creusée dans la chapelle. Craignant la corruption de la dépouille en raison des risques d’inondation du Cher, Louise de Savoie, mère du futur François 1 er , obtient que le 7 avril suivant les maçons procèdent à l’ouverture de la tombe, exhument le corps et édifient une voûte de pierre protectrice. On décida alors de choisir un sarcophage sous la forme d’un abreuvoir creusé dans une pierre énorme située sur la route de Ballan. Une légende veut qu’un miracle ait permis de déplacer la pierre que ne parvenaient pas à remuer dix-huit paires de bœufs ; mais la bulle de canonisa tion ne mentionne pas ce fait. Le corps exhumé fut placé durant trois jours dans la chapelle ; une nouvelle fois, la foule se pressa à tel point que le roi dut faire envoyer des hommes de sa garde. Jeanne Bonhomme, un des témoins, assure que « le corps ne dégageait aucune mauvaise odeur et que la chair était tiède, le visage aussi beau que durant la vie ». Le peintre Jean Bourdichon prit alors un second moulage du visage ; lui aussi témoigne qu’il a trouve ce corps « aussi sain, en aussi bon état que lors de la première inhumation, sans corruption, sans odeur». Louise de Savoie confirma cette impression ; le corps, cependant, n’avait pas été éviscéré. La seconde inhumation eut lieu le 14 ou le 15 avril 1507. Le procès de canonisation de Tours qui s’ouvre le 19 juillet 1513 par la déposition du peintre Jean Bour dichon et s’achève le 7 septembre 1513 après vingt audiences permet d’entendre cinquante témoins. Ils comparaissent devant Pierre Cruchet et Pierre Chabrion, prêtres et chanoines prébendes de l’Eglise de Tours en présence du protonotaire Me Jacques Tillier. Parmi ces religieux, bourgeois, juristes, marchands et artisans, serviteurs du château du Plessis, huit seulement n’ont pas connu le Bonhomme et rapportent par ouï-dire. Tous rappellent les faits miraculeux, la sainteté de la vie de François de Paule, ses jeûnes et oraisons, les conseils reçus de l’ermite et l’étendue de sa renommée. Cette chronique touran gelle constitue un document d’une première importance. Le 13 mai 1512, soit cinq ans après la mort de l’er mite, le pape Jules II ordonne l’ouverture d’une enquête canonique en vue de la canonisation. Un premier procès s’ouvre donc à Tours à l’été 1513 ; en même temps s’en ouvre un à Cosenza en Calabre et un témoin est entendu à Amiens. Mais déjà, le 7 juillet 1513, le nouveau pape Léon X porte l’ermite au nombre des bienheureux et fixe sa fête liturgique au 2 avril, jour de sa mort. De 1516 à 1518 s’ouvre le grand procès de Calabre. Au même moment, des suppliques sont adressées à Rome par Claude de France, François 1er, Louise de Savoie et Philiberde de Savoie, tante maternelle de François 1er. Le dimanche 12 mai 1519, le pape Léon X procédait à Rome à la canonisation de François de Paule au cours de somp tueuses cérémonies. A cette occasion, François 1er offrit 70 000 écus d’or et des tapisseries pour orner la basilique Saint-Pierre. Le 27 mars 1943, Pie XII proclamait le saint patron des gens de mer. En avril 1562, le tombeau du saint est profané par les protestants conduits par Martin Pibelleau. Après avoir brûle les corps de saint Gatien et de saint Martin, les huguenots se rendent au Plessis. Un reli – gieux minime est assassiné, le couvent et l’église sont mis à sac ; les restes de Frédéric d’Aragon, fils du roi Ferdinand d’Aragon, ensevelis près de l’église sont jetés au bûcher. Le 13 avril, le corps du saint, tiré par une corde, est en grande partie brûlé. Quelques restes purent être sauvés et replacés dans le tombeau. Par la suite, de hauts personnages vinrent prier sur la tombe : Charles IX, Hneri III, saint François de Sales, Jean-Baptiste Gaut, Ange de Joyeuse et Louis XIV. Les restes de l’ermite sont ensuite transférés à l’église Notre-Dame-la-Riche après la destruction du tombeau en 1793. Sous l’Ancien Régime, comme durant l’épiscopat de Mgr Chapt de Rastignac en mai 1735 et en mai 1738 et en juillet 1747. Les reliques sont promenées en ville pour attirer la pluie et demander des temps plus favorables pour les biens de la terre. Le culte du saint se développa durant cette période précédant la Révolution. Marie de l’Incarna tion, dans une lettre à son fils datée du 16 septembre 1661, reconnaît l’influence exercée par l’ermite sur sa famille : « Je vous ai autrefois parlé de la dévotion de saint François de Paule car je crois que vous n’ignorez pas que c’est notre bisaïeul qui fut envoyé (un Guyart) par le roi Louis pour le demander au Pape et pour l’amener en France. J’en ai bien entendu parler à mon grand-père ; et même à ma tante qui est morte lorsque j’avais quinze ans, avoir vu sa grand-mère, fille de ce bisaïeul, qui la menait souvent au Plessis pour visiter ce saint homme, qui par une pieuse affection, faisait le signe de croix sur le visage de cette petite en la bénissant. C’est ce qui a toujours donné une grande dévotion à notre famille envers ce grand saint. Mon grand-père nous racontait cela fort souvent, afin d’en perpétuer après luy la mémoire et la dévotion, comme il l’avait reçue de son ayeul ». Après la Révolution, la dévotion semble s’attiédir. Mais après l’initiative de Monsieur Dupont, le « saint homme de Tours » qui fait placer une croix de fonte sur l’emplacement du tombeau, des pèlerinages sont organisés comme le 4 mai 1874 où quatre mille chrétiens viennent se recueillir sur les lieux. Une souscription est ouverte pour l’édification d’une chapelle au-dessus du tombeau. Elle ne sera qu’en partie achevée en 1877. En 1934, Mgr Gaillard, archevêque de Tours, autorise la trans lation à Paola des reliques du saint ermite. Homme de prière et de pénitence, François de Paule a laissé, à travers les différentes règles de l’0rdre, un cadre de vie spirituelle pour les Minimes, marquée par une forte activité intérieure. L’esprit de pénitence puise aux règles de saint Benoît, de saint François d’Assise ou des Pères du désert. On sait qu’il portait constamment le cilice et son vête ment, fait de toile grossière est le plus simple qui se puisse concevoir. Dans la bulle de canonisation, le pape note «qu’il ne semblait pas qu’il eût un corps, mais plutôt que c’était un pur esprit ». Il va pieds nus sur les sables de la Calabre, les cailloux, les rochers, les neiges, les ronces, l’eau et la boue. Cet esprit de péni tence s’articule autour de la solitude, dont il est fait l’éloge au début de la première règle de 1493 et de son prolongement, le « grand silence évangélique ». C’est aussi la pauvreté et la règle retient que les Minimes ne porteront pas d’argent sur eux, n’auront qu’une seule bure; que leurs églises conventuelles seront «petites et humbles» et les couvents pauvres. L’oraison, la prière et la contemplation se rattachent à renseignement des ermites du désert. Au Plessis, il doit le plus souvent s’isoler pour prier ; un témoin au procès de Tours rapporte que l’ermite restait parfois trois jours en prière, dissimulé dans les broussailles ; les hommes de Briçonnet attestent l’avoir souvent vu en extase, à genoux, les yeux tournés vers le ciel, les mains jointes, mettant en pratique la règle de 1506 recommandant « l’oraison pure et perpétuelle ». Selon un auteur, on trouve souvent l’ermite «en oraison devant l’autel du couvent de Paola couronné d’une triple couronne de lumière » ; pendant sa prière, « les Anges lui apportent du ciel un Charitas pour armes et blason de son Ordre » et comme il priait dans son église, « il est rendu invisible à ceux qui le recher chent » pour l’arrêter au nom du roi de Naples. Durant la nuit, «on voyait de la lumière dans sa cellule ».

Pour François de Paule, « l’oraison et la contemplation sont la vraie et la plus naturelle réfec tion de nos âmes, ses seules délices, sa vraie félicité ». La messe, à l’évidence, constitue pour l’ermite le moment privilégié de l’oraison ; un témoin affirme qu’après l’avoir entendue, chaque matin, «on voyait François, l’office terminé, envoyer ses frères s’alimenter tandis que lui… restait seul dans l’église et se lit ensuite directement dans sa cellule ». Le jeûne est une condition indispensable à la vie d’oraison. La règle précise que « le jeûne purifie l’entendement, élève les sens, assujettit la chair à l’esprit, cœur contrit et humilié, éloigne ce qui nourrit la concupiscence, éteint les ardeurs de la volupté et allume le flambeau de la chasteté… il comprime les vices, fait acquérir les vertus, chasse les démons ». L’idéal du saint est l’imitation de la vie du Christ au désert, cette quarantaine qui devient pour lui l’expression du carême. D’où un quatrième vœu ajouté aux trois vœux classiques de la vie religieuse : le vœu de vie quadragésimale distinguant les Minimes des autres communautés. L’abstinence du carême est de la sorte étendue à l’ensemble de l’année. La règle de 1506 prévoit que « tous les Frères de l’Ordre s’abstiendront des viandes pascales, et pour faire de dignes fruits de pénitence, ils observeront la vie de carême jusqu’à ce point, ne point manger de chair ni d’aucune chose qui tire son origine de la chair… tout ce qui en est composé ou formé est absolument défendu ». Philippe de Commynes mentionne que François « jamais n’avait mangé, n’y n’a encore ni chair, ni poisson, ni œufs, ni laitage, ni aucune graisse, et en pense point avoir vu homme vivant de si sainte vie ». Martin de La Haye rapporte la façon dont l’er mite se nourrissait : « ce frugal repas, disait-on communément, qu’il ne le prenait qu’une fois par vers le jour, vers le soir». Les Frères déclarèrent que très souvent ils avaient retrouvé le pain et le vin intacts et qu’il ne s’alimentait que lorsque la nature l’y obligeait, restant parfois trois jours sans manger le pain ni boire l’eau qu’on lui apportait. Pénitence, prière et jeûne ne sont à tout prendre, que l’expression de l’esprit de charité, de cette « Charitas » devenue la devise de l’Ordre des Minimes, et que la bulle Excelsus Dominus de Léon X du 1 er mai 1519, portant canoni sation de l’ermite à la demande pressante de François 1er place parmi les vertus insignes et son existence terrestre. Peintre de la reine Anne de Bretagne et de Louis XII, ami de l’ermite avec qui il s’entretenait très fréquemment, Jean Bourdichon est à l’origine de l’iconographie de François de Paule. On sait en effet qu’il prit un moulage du visage du défunt, ou à tout le moins « empreinte » en vue, semble-t-il, de réaliser un tableau qui ne saurait être, selon les travaux de Mgr Robert Fiot, celui exposé au couvent de Jésus-Maria et qui n’est autre que celui offert par François Ier au pape Léon X en vue de la canonisation. Plus proche sans doute du moulage est le tableau de la cathédrale de Monopoli (province de Bari) où François de Paule, mort, est allongé comme un gisant sur tombeau. Ce thème fut repris en 1671 par le Tourangeau Abraham Bosse. De la même inspiration procède le tableau de Saint-Louis en l’Isle. Quant au portrait offert par le roi de France au pape, la tradition l’attribue à Jean Bourdichon ; il a dû probablement servir de prototype aux nombreux portraits exécutés ensuite. Comme le note Mgr Fiot : « En France, lorsque après l’écroulement de l’Ordre, au lendemain de la Révolution, le culte de François renaîtra, c’est surtout l’antique portrait que l’on reproduira. Bourdichon n’avait réalisé cependant qu’un portrait utile au sens où on l’entendait au début du XVIème siècle. Ce portrait devait rester utile du XVIème au XXème siècle. Il est l’axe de toute l’iconographie franciscaine. » Protégé par les rois Valois et leurs successeurs, l’Ordre des Minimes se répand à travers le royaume puis essaime en Espagne, Italie et Allemagne. En 1768, on compte en France 151 maisons regroupant 966 religieux à la fois contemplatifs et actifs, prêcheurs ou chargés de paroisses. À son apogée, l’Ordre des Minimes compta 457 couvents dans le monde (Michel LAURENCIN).

comprenant cinq cavaliers italiens dont le prince de Tarente, un poète napolitain Francesco Galeotta et deux frères de la communauté de Paterne, Bernardino de Cropulatu et Jean Tedurio della Rocca. A Rome, l’ermite est reçu à plusieurs reprises par Sixte IV et le collège des cardinaux. L’escorte, renforcée par la délégation française, s’em barque à Civitavecchia, selon Jean Jolys ou à Ostie selon d’autres sources. La traversée fut périlleuse, une forte tempête se déchaînant dans le golfe du Lion. On rapporte aussi que le groupe échappa par miracles aux corsaires grâce aux prières de l’ermite. En vue des côtes de Provence, il fallut choisir un autre lieu de débarquement que Marseille ou Toulon où sévissait la peste. On se dirigea alors vers les îles d’Hyères pour aborder près du village de Bormes, à Bréganson. Selon une tradition orale reproduite par le Père Claude du Vivier dans Vie et miracles de saint François de Paule instituteur de l’Ordre des Minimes (1609), l’ermite aurait séjourné à Fréjus où plus tard un couvent est édifié vers 1490. Il y aurait accompli plusieurs mira cles et guérisons. Puis la troupe, empruntant la route des Alpes par Sisteron et Grenoble, se dirige vers Lyon et y arrive le 24 avril 1483 comme l’attestent les comptes de la ville. Par lettre du 24 février, Louis XI a ordonné au corps de ville de faire bon accueil à l’er mite : « Nous vous prions, sur tout le service que vous désirez faire, que vous receviez et festoiez icellui saint homme le mieulx que vous pourrez ». Il renouvelle ses ordres le 27 mars : « Quant le dit saint homme sera arrivé par-delà, recevez-le et le festiez comme si c’était notre Saint-Père… nous le voulons ainsi pour l’onneur de sa personne et de la sainte vie qu’il mène ». De Lyon, un messager est dépêche au Plessis pour tenir le roi informé du déroulement du voyage, à pied et sur eau, probablement selon l’itiné raire suivant : Lyon, Nevers, Auxerre, Orléans, Blois, Amboise et Tours, à moins qu’il ne s’agisse de la voie d’eau à partir de Roanne. Le 30 avril 1483, François et sa troupe quittent Orléans pour descendre la Loire vers la Touraine. La halte d’Amboise n’est fondée que sur une tradition rapportée par l’Espagnol Lucas de Montoya dans Cronica general de la Orden de los minimes de S. Francisco de Paula (Madrid, 1619), puis par Fran – çois Victon en 1623 et le minime Jacques Rosier dans son Minimologium Turonense de 1653. Louis XI a donné ordre au dauphin Charles, âgé de treize ans, de se rendre à la rencontre du Bonhomme. Il semble que cette rencontre ait eu lieu au pied du château d’Amboise, à l’em placement de l’actuelle rue des Minimes où plus tard est édifié un couvent de Minimes. Un cortège fut formé, comprenant outre le dauphin, les princes et seigneurs de son entourage, le clergé de la ville et des habitants. Un tableau de l’église Saint- Denis d’Am boise commémore l’événement : le dauphin relève l’ermite agenouillé à ses pieds. Selon toute probabilité, c’est le lendemain de ce premier contact avec la Touraine à Amboise (le 30 avril 1483) que François, accompagné d’une nouvelle escorte, part pour le Plessis en empruntant le fleuve, les hommes de la suite suivant sur les rives. Il aurait débarqué à Tours dans un des ports de la ville pour rejoindre à pied la résidence royale des Montils. L’arrivée fut longtemps fixée au 24 avril 1483 ; Mgr Fiot a démontré qu’à cette date, François est encore à Lyon et le roi à Saint-Claude. C’est plutôt le 1 er ou le 2 mai 1483 qu’il faut retenir pour date de l’arrivée aux Montils. Selon la tradition, Louis XI se porta au-devant du vieil ermite ; d’autres textes, issus du procès de canonisation, mentionnent que François « pénétra dans la chambre, le roi lui-même, devant tous, fléchit les genoux en lui demandant sa bénédiction ». Aux Montils (le Plessis-lès-Tours), le roi Louis XI confie à son receveur général des Finances, Pierre Briçonnet, le soin de pourvoir aux besoins de l’ermite. Ambroise Rambault est chargé des fonctions d’interprète car François ne parle pas français. Il est installé au fond de la basse-cour, dans une maison rustique du pont-levis, à l’entrée du château royal et à proximité de l’église Saint-Mathias en compagnie de Bernardino de Cropulatu et de Jean della Rocca. Mais François y refuse les riches plats qu’on lui présente, se contentant pour nourriture d’herbes, de racines et de lits. On le sait attiré par les travaux de jardinage ; pour fuir les allées et venues des hommes d’armes et membres de la suite royale, pour vivre son idéal religieux, le Bonhomme se retire fréquemment dans sa petite cabane ou dans les épais buissons du parc du Plessis. Il y est épié et observé par les hommes de Briçonnet. Selon un témoin du procès de canonisation, il couche sur une simple paillasse bourrée de sarments de vigne et couverte d’une toile grossière. Au milieu de ses extases, il demeure souvent trois jours consécutifs sans boire ni manger. Ou bien il se contente d’eau