« Au temps de la journée de Fornoue [1495] fut ledit bon Père reclus sans prendre aucune sustentation, car il connaissait en son esprit, par la grâce divine, que le roi était assiégé de ses ennemis comme Vénitiens, Italiens, Lombards et autres. Et on croit pieusement que ledit bon Père pria Dieu pour ledit roi, très affectueusement qu’il le délivrât de la main de ses ennemis mortels. Et fut dit de tous que c’était chose miraculeuse de ce que le roi avait réchappé si grand danger » (L’Anonyme calabrais, vers 1538)
LES MINIMES ET LES ROIS VALOIS
L’attachement de Louis XI et ses successeurs à François de Paule et la fidélité de l’Ordre des Minimes à l’égard de la monarchie des Valois ont tissé des liens très étroits qu’est venue renforcer la détermination des religieux à défendre le catholicisme contre la Réforme protestante. Se nouent ainsi des relations, maintenues avec les Bourbons, qui expliquent les faveurs accordées par les monarques, notamment dans l’établissement de nouveaux couvents dans le royaume de France, avant que la Révolution ne marque une brutale rupture.
Dès l’arrivée du Calabrais en Touraine, les gestes de Louis XI sont la marque d’un profond respect. Ne confie-t-il pas à son fils Charles, dauphin de France, la charge de l’accueillir à Amboise ? Le récit de Philippe de Commynes lors de l’arrivée de l’ermite au manoir du Plessis-lès-Tours ne fait que confirmer l’expression de ce profond respect : « De là vint devers le roi, honoré comme s’il eut été le pape, se mettant à genoux devant lui, afin qu’il lui plût allonger sa vie. Il répondit ce que sage homme devait répondre. Je l’ai maintes fois ouï parler devant le roi qui est de présent où étaient tous les Grands du royaume, et encore depuis deux mois, mais il semblait qu’il fut inspiré de Dieu ès choses qu’il disait et remontrait ; car autrement n’eut su parler des choses dont il parlait… » Avant de passer de vie à trépas le 30 août 1483, Louis XI recommande ses enfants au Calabrais : le dauphin Charles, la princesse Anne épouse de Pierre de Beaujeu, devenue régente et la princesse Jeanne épouse de Louis d’Orléans, future fondatrice de l’Ordre de l’Annonciade. Ces liens très étroits se poursuivent avec Charles VIII, roi de 1483 à 1498, qui insista pour empêcher le retour de l’ermite en Calabre.
Cette relation personnelle et cette intimité se manifestent encore lors du baptême, le 13 octobre 1492, au Plessis-lès-Tours, de Charles-Orland, fils aîné de Charles VIII et d’Anne de Bretagne. L’historien minime Antoine Dondé, dans un chapitre précisément intitulé « la familiarité et les affections particulières des rois de France » rapporte que le 13 octobre 1492, Charles VIII « lui [François de Paule] fit tenir sur les fonts son fils aîné le dauphin qu’il nomma Charles Orland » ; il ajoute que « le roi durant le baptême tenait par la main » l’ermite calabrais.
L’estime que le monarque manifeste à l’ermite, les conseils qu’il en reçoit expliquent l’implication de François de Paule dans les enjeux diplomatiques du royaume des Valois. Pour mettre fin à la guerre entre le royaume de France et le duché de Bretagne et sceller l’union, il intervient pour aider au mariage, en 1491, de Charles VIII et d’Anne de Bretagne. On attribue aussi à François de Paule un rôle dans la restitution au royaume d’Aragon du Roussillon et de la Cerdagne occupés par les armées de Louis XI à partir de mai 1462 ; il aurait pesé en ce sens lors de la conclusion du traité de Barcelone du 19 janvier 1493 entre Charles VIII et Ferdinand II. Durant les guerres d’Italie, le soutien moral que François de Paule apporte à Charles VIII dans son projet de conquête du royaume de Naples trouve sa justification dans l’idée d’une nouvelle croisade contre les Ottomans menaçant l’Italie méridionale et pour la défense de la chrétienté et des droits de la papauté. Lors de la bataille de Fornoue du 6 juillet 1495, il invite ses Frères à prier pour le succès des armées françaises.
Les textes annexés à la bulle de canonisation mentionnent que le nouveau roi Charles VIII, après avoir « connu la perfection de son austère vie…ne déterminait d’aucunes affaires d’importance du fait de sa conscience sans avoir premièrement le conseil d’iceluy » ; et qu’il « n’eut pas moins de dévotion envers iceluy [François de Paule] que feu son père, et parce qu’il aimait fort Amboise, voulant avoir consolation de ce saint homme, le pria d’y venir, et au bas de son château fait édifier une église et couvent auquel il faisait sa résidence quand le roi était à Amboise ». C’est l’origine du couvent des Toussaints à Amboise établi à l’endroit de la rencontre de 1483 entre l’ermite et le jeune dauphin Charles. Le Minime Antoine Dondé souligne cette protection royale en écrivant : « Les affectations particulières de ce monarque vers notre saint sont encore bien évidentes par les fondations qu’il a faites de trois couvents de son Ordre qu’il lui a donnés, savoir celui du Plessis-lez-Tours, celui d’Amboise et celui de Rome qu’il a voulu fonder pour la demeure des religieux minimes français, mais particulièrement par la fondation de celui du Plessis ». À Rome, sur le Mont-Pincio, l’église et le couvent de la Trinité-des-Monts sont édifiés par la volonté directe de Charles VIII, répondant aux souhaits du Calabrais, sur le terrain acheté par le roi en 1494 ; le monarque a ainsi souhaité exprimer sa reconnaissance envers l’Ordre des Minimes et son fondateur pour l’assistance spirituelle donnée à son père.
Le décès accidentel de Charles VIII à Amboise en 1498 ne remet nullement en cause ces relations d’intimité et ces marques de protection. Le nouveau roi Louis XII (1498-1515), dans les lettres patentes datées de Blois en décembre 1500, se déclare « le fondateur, le protecteur et le garde de l’Ordre des Minimes, pour la singulière confiance, le grand amour et la fervente dévotion qu’il portait à Frère François de Paule et à ses religieux, pour avoir reconnu leur vie austère, sainte, juste et de grande édification, utilité et bon exemple au peuple chrétien ». On ne compte plus les nombreuses et pressantes suppliques que Louis XII puis François 1er, la reine Claude de France, la reine mère Louise de Savoie, les princes et princesses de rang adressent aux papes pour solliciter la béatification puis la canonisation de l’ermite.
Selon les chroniqueurs, c’est aux prières de François de Paule que Louise de Savoie, épouse de Charles d’Orléans, comte d’Angoulême, eut le bonheur de mettre au monde un fils en 1494 ; en reconnaissance, il reçut le prénom de François (futur roi François 1er). S’il faut en croire le Minime François Victon qui écrit en 1623 : « Il fut un jour visité en son couvent du Plessis par l’illustre princesse Louise de Savoie, épouse du comte d’Angoulême, où entre autres propos elle se vint à jeter sur l’infortune de sa personne, laquelle quoique favorisée du Ciel en grandeur et richesses, était affligée de n’avoir aucuns enfants, le Père S. François essuya les larmes de cette princesse et arrêta le cours de ses sanglots en lui promettant et prophétisant qu’elle aurait un fils et que ce fils serait roi de France. »
Henri III (1574-1589) manifesta les mêmes prévenances que Charles IX (1560-1574) à l’égard des Minimes. L’idéal de pauvreté et d’ascétisme suscitait son admiration. C’est au couvent parisien de Nigeon-Chaillot que la Cour entend les offices religieux lors de ses séjours à Paris. C’est encore aux Minimes que le roi confie le couvent du bois de Vincennes pour en faire un lieu de retraites de la Cour et ce sont souvent des proches et des familiers du roi qui sont à l’origine de la fondation de couvents minimes.
Parmi les nombreux personnages venus en pèlerinage au tombeau, citons Charles IX en novembre 1565 et août 1569, Henri III en avril 1589, Henri IV qui y entendit la messe le 16 mai 1601, Louis XIII le 20 août 1619, François de Sales, évêque de Genève de 1602 à 1622, Jean-Baptiste Gault, évêque de Marseille de 1640 à 1643. Le jeune Louis XIV, alors âgé de 14 ans, après entendu la messe à la basilique Saint-Martin en compagnie de sa mère et de son frère, se rendit en pèlerinage au tombeau de l’ermite le 14 octobre 1652. Ce fut aussi le cas pour des reines de France : Élisabeth d’Autriche, veuve de Charles IX le 2 avril 1575 ; Catherine de Médicis, veuve de Henri II en juin 1577 ; Louise de Lorraine, épouse de Henri III, le 26 mars 1587 et le 10 mars 1598 ; Marie de Médicis, veuve de Henri IV en 1614, 1616, le 18 septembre 1620, et en 1626 ; Anne d’Autriche épouse de Louis XIII en 1620, le 15 septembre 1626 et le 15 juillet 1650 ; et des filles de France : Marguerite de France, reine de Navarre le 18 avril 1582 ; Henriette de France, reine d’Angleterre le 20 août 1543 ; Christine de France, reine de Chypre, duchesse de Savoie le 22 juillet 1619.
Le soutien que les Minimes apportent aux Valois dans leur lutte contre le protestantisme, les affinités qui, depuis Louis XI, ont fortifié et conforté les relations entre la famille royale et les Minimes sont autant d’éléments de nature à susciter les plus violentes réactions des huguenots. Ce soutien réciproque entre la monarchie et les religieux trouve un écho dans l’aide que les rois apportent à la fondation de nouveaux couvents minimes dans leur royaume ; ceux-ci sont le plus souvent édifiés près des villes à fortes communautés protestantes pour tenter de les affaiblir. Cette protection royale se manifeste aussi lors des pèlerinages que les Valois effectuent au couvent Jésus-Maria, sur le tombeau de l’ermite et en participant aux dépenses de restauration. Charles IX contribua pour deux mille livres à la remise en état de la chapelle conventuelle et du tombeau après les profanations de 1562 par les protestants.
Les faveurs royales apportées à l’Ordre des Minimes, les soutiens consentis à leur implantation dans le royaume ont placé François de Paule au rang de « protecteur de la dynastie des Valois ». Michel LAURENCIN
L’arrivée de François de Paule à Amboise (copie du tableau du XVIIe siècle attribué à Claude Vignon)
Ce tableau (2m80 sur 2m25), remis à l’Association des Amis de saint François de Paule par le comte de Paris pour être placé dans la chapelle du tombeau, est une copie de celui qui se trouvait dans le retable de l’église de l’ancien couvent d’Amboise, puis placé dans l’église Saint-Denis à Amboise à partir de 1845. Il représente l’arrivée de l’ermite et de son compagnon, accueillis par le jeune dauphin Charles, fils de Louis XI et futur Charles VIII à la porte orientale de la ville, le 30 mai 1483, là où, quelques années plus tard, est édifié le couvent des Toussaints. L’original, dans l’église d’Amboise, a toutefois été restauré et une partie a été amputée. Avant son installation dans la chapelle du tombeau de saint François de Paule, cette copie se trouvait dans la Grande Salle du château d’Amboise. Elle permet de voir le tableau dans son état avant sa restauration de 1990-1991. Le peintre a pris quelques libertés avec la réalité : la tour orientale du château n’a été édifiée qu’en 1498, soit 15 ans après l’événement de 1483.